L’Europe s’est traditionnellement approvisionnée en gaz via la Russie. De nombreux pipelines ont été construits pour acheminer de grandes quantités de gaz depuis les champs gaziers russes jusqu’aux zones de consommation, via des contrats de long terme bon marché. L’Allemagne a été l’un des grands architectes de ces projets, puisque cela lui a permis de bénéficier d’énergie bon marché pour son industrie et de devenir une grande exportatrice de biens manufacturés. L’Europe dépendait, pour 35 à 40% de sa consommation, du gaz russe et cela montait à plus de 50% pour l’Allemagne. En raison d’évènements géopolitiques ayant eu lieu entre l’Ukraine et la Russie, en 2009, 2011 et 2014, l’Union Européenne s’est mise doucement à repenser ses modes d’approvisionnement en gaz et à en diversifier la provenance pour garantir la continuité des flux. Au-delà de fournisseurs traditionnels comme la Norvège ou l’Algérie, l’Union européenne (UE) s’est dotée de terminaux de regazéification afin d’importer du Gaz Naturel Liquéfié (GNL) et de se fournir de manière plus flexible en gaz.
L’effondrement rapide des flux russes, comme illustré sur le graphique ci-dessus, est venu totalement remettre en question les grands acquis des dernières décennies sur la notion d’énergie disponible et bon marché. Le manque de fiabilité de Moscou a obligé à un grand retournement côté européen, avec une décision marquante prise par la Commission Européenne de se passer totalement de gaz russe d’ici 2027. Seulement aujourd’hui, les flux russes ne représentent plus que 7-10% de l’approvisionnement européen et cette réduction est trop drastique pour que le continent ait le temps de s’adapter. Au-delà des approvisionnement par pipeline et de la production domestique de l’Union européenne (UE), le Gaz Naturel Liquéfié (GNL) a émergé comme le grand remplaçant du gaz russe, puisqu’il est devenu la première source d’approvisionnement en gaz de l’Europe, devant la Norvège. Le niveau des livraisons de Gaz Naturel Liquéfié (GNL) est 63% plus élevé en 2022 qu’en 2021 et ce sont les USA qui ont fourni le plus gros des quantités livrées.
Même si le Gaz Naturel Liquéfié (GNL) parvient à panser la plaie pour cette année, il faut garder à l’esprit qu’en 2022, l’Europe a tout de même reçu entre 55 et 60 milliards de m3 de gaz russe et une partie de ce gaz lui a permis de remplir ses stockages. En 2023, l’histoire risque d’être différente étant donné que les livraisons de gaz russe, si elles restaient au niveau d’aujourd’hui, s’élèveraient seulement à 13 milliards de m3 (contre 155 milliards de m3 en 2021, 60 en 2022). Il faudrait donc importer des quantités de Gaz Naturel Liquéfié (GNL) encore plus importantes en 2023 qu’en 2022, à un prix plus élevé que celui du gaz importé par pipeline.
Afin d’éviter un cataclysme en 2023, c’est à dire, que les quantités de gaz soient insuffisantes pour remplir les stockages et répondre à la demande, il est absolument nécessaire que l’Europe parvienne à remplir deux conditions pour les 6 prochains mois :
Étant donné qu’il ne faudra pas compter sur une augmentation des flux russes pour l’année prochaine, en raison de l’enlisement du conflit en Ukraine, des sanctions mises en place par l’Union européenne (UE) envers Moscou et du sabotage des deux pipelines Nord Stream, il apparait clairement que les solutions d’approvisionnement pour l’année prochaine seront plus limitées. Les autres gazoducs auxquels est connectée l’UE disposent d’une capacité maximale limitée, d’environ 200 milliards de m3 au total pour la Norvège, l’Afrique du Nord et l’Azerbaïdjan alors même que l’UE (UK inclus) consomme environ 450 milliards de m3 de gaz chaque année. De ce fait, la seule flexibilité existant du côté de l’offre provient du Gaz Naturel Liquéfié (GNL), pour lequel l’Europe peut théoriquement importer près de 190 milliards de m3 de gaz à pleine capacité.
En l’absence de flux russes importants, le Gaz Naturel Liquéfié (GNL) constituera nécessairement la pierre angulaire de l’équilibre entre l’offre et la demande sur le continent. Cependant, ce mode d’approvisionnement n’est pas exclusif à l’Europe, il lui faut composer avec la demande asiatique pour cette même ressource et donc proposer des prix plus attractifs pour attirer des méthaniers. Comme le présente le graphique ci-dessous, la dynamique de prix entre l’Asie et l’Europe pour acheter du Gaz Naturel Liquéfié (GNL) suit des trajectoires similaires, ce qui est logique, puisque chaque région tente de surpasser l’autre en prix afin que les exportateurs de gaz dirigent des cargaisons vers eux. Les prix ont eu tendance à converger à la fin du mois d’octobre, puisque l’Europe a acheté suffisamment de gaz pour remplir ses stockages et donc les prix ont baissé. Si l’on se penche sur les prix futurs cette fois, pour l’année prochaine, on constate un large rebond du prix européen, qui surpasse le prix asiatique, puisque, comme expliqué précédemment, le Gaz Naturel Liquéfié (GNL) sera clé afin que l’Europe puisse garantir sa sécurité d’approvisionnement et ses prix devront donc être supérieurs à ceux de l’Asie.
De manière globale, les prix du gaz européens pour l’année prochaine ont largement augmenté au cours de l’année 2022, preuve que le marché anticipe d’ores et déjà que la ressource sera limitée et donc qu’elle vaudra cher. Entre le 1er mai 2022 et la fin octobre, les prix pour l’année prochaine ont augmenté de plus de 50%, car le risque que le continent manque de gaz pour sa consommation est bien réel. Selon les projections de l’Agence Internationale de l’Energie, si l’Europe ne réduit pas sa consommation au cours de cet hiver et poursuit sur ses trajectoires de consommation hivernale antérieures, près de 25 milliards de m3 viendraient à manquer l’année prochaine pour couvrir la demande et remplir les stockages. Cela correspond à près de 50% de la consommation annuelle de gaz en France. Si ce scénario venait à se matérialiser, les prix atteindraient des niveaux encore jamais atteints précédemment, puisqu’il deviendrait absolument vital de ne pas consommer de gaz afin que les consommateurs les plus précaires disposent du combustible. Les premiers touchés seraient donc les entreprises et les industries, qui pourraient subir tout simplement des coupures de gaz pour des durées indéterminées, afin d’éviter des ruptures d’approvisionnement majeures au sein des pays de la zone euro.
L’Europe devra faire preuve de discipline et mettre en place des mesures de sobriété au sein de son territoire afin d’éviter les pires scénarios. Cela vaut pour l’année prochaine, mais également les suivantes, puisqu’elle dépend à plus de 80% de pays tiers pour ses livraisons de gaz. La situation conflictuelle avec la Russie est venue rappeler, sévèrement, aux décideurs européens qu’il faut repenser de fond en comble les approvisionnements du continent mais aussi le fonctionnement de son marché de l’énergie. Les niveaux de prix connus en 2022 ont coûté des centaines de milliards d’euros au continent pour soutenir les particuliers et les entreprises via différents mécanismes d’aides. Cet état de fait actuel n’est pas tenable dans la durée car il pourrait profondément déstabiliser la zone euro et creuser la dette des Etats à des niveaux particulièrement inquiétants. D’autant plus que l’inflation actuelle, dépassant les 10% en octobre 2022, oblige la Banque Centrale Européenne à relever ses taux directeurs, lesquels impliquent un remboursement de la dette plus important pour des Etats déjà mis à mal par la situation énergétique.